Je me présente, Catherine de Baillon, née vers 1645, Monfort, l'Amaury, Chartre, France. Je suis née du mariage d'Alphonse, sieur de la Massicotterie et de Loyse de Marle. Je viens vous parler pour rétablir les faits sur la présence des Filles du Roi en Amérique. Mon histoire, en Nouvelle-France, commence en août 1669 sur le pont du Saint-Jean-Baptiste. Nous sommes 149 jeunes femmes attentives à saisir le moindre indice de cette nouvelle vie. Entre 1663 et 1673, nous sommes 770 femmes qui arrivent dans la colonie pour peupler celle-ci.
On nous nomme "Les Filles du Roi". On nous associe à tort les termes de filles de petites vertus. Au contraire, nous avons été sélectionnées en France. Le choix de recrues se fait en fonction de celles qui présentent le meilleur potentiel d'adaptation au contexte particulier de la Nouvelle-France.
L'expression "les Filles du Roi" s'applique exclusivement aux femmes et aux filles ayant émigrées en Nouvelle-France entre 1663 et 1673. Nous sommes toutes de jeunes femmes en âge de se marier et de procréer. On nous appelle ainsi car les dépenses liées à notre transport et à notre établissement, de même notre dot est assumée par le trésor royal. La majorité d'entre nous vient des orphelinats des villes de France. Les demoiselles de naissance ou de petites noblesses y sont peu nombreuses. Elles s'adaptent moins bien aux difficiles conditions d'existence de la colonie avec ses hivers rigoureux et les dures conditions pour les travaux à faire. Je suis de celles-ci! Toutefois, si la plupart d'entre elles vient par goût de l'aventure, pour ma part, on m'a embarquée contre mon gré pour d'obscures raisons familiales. À 24 ans, je suis bien décidée à prendre ma revanche!
À notre arrivée, bon nombre de résidents mâles sont là à nous observer, car cette colonie française manque cruellement de femmes. Les hommes repèrent déjà, dans le lot des arrivantes, un minois susceptible de leur plaire ou une robuste silhouette faite pour les épauler au quotidien et de leur donner une nombreuse descendance. Dès lors, nous sommes prises en charge par des religieuses ou des femmes de bonne réputation. Nous sommes logées et nourries jusqu'à ce que nous acceptions l'offre d'un prétendant.
Malgré de nombreuses embûches, presque toutes les Filles du Roi finissent par se marier car il est extrêmement déshonorant de ne pas le faire. Dès le 15 septembre, une première fille de notre contingent prend mari. Mais moi, Catherine de Baillon, je ne suis pas pressée. Je n'ai pas quitté ma douce France par goût et songe à prendre une belle revanche sur la vie. Je fais alors connaissance de Jacques Miville Deschesnes.
Catherine de Baillon, seigneuresse Des Chesnes...seigneuresse d'un domaine plus vaste que celui de mon père, de ma mère et même de mes grands-parents réunis! Devant tant d'espérances, je me laisse convaincre. La promesse de mariage est scellée le 19 octobre 1669.
À ce moment, je ne me doutais pas un instant que je serais l'ancêtre de plusieurs milliers de Nord-Américains dont l'ex-premier ministre du Canada, Jean Chrétien, et de la célèbre chanteuse Céline Dion. Quelle revanche! Jacques décède le 27 janvier 1688 et moi le 30. Nous mourrons suite à une épidémie de fièvre pourpre. Je n'ai que 43 ans.
Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, je reviens à titre de Fille du Roi et je revendique le droit d'être considérée au premier rang des fondateurs du Canada. Héroïnes ou libertines, connues ou anonymes, nous les Filles du Roi avons vécu à une époque difficile. Nous avons fait la preuve de beaucoup de courage et de détermination pour survivre et fonder une nation.
Je retourne maintenant à mon dernier refuge en sol canadien, ma sépulture à Rivière-Ouelle au Québec, fière du devoir accompli!
Catherine de Baillon